Édition numérique - Acadie Nouvelle

La lampe qui baisse

Demain, ce sera la première Journée mondiale des grands-parents et des personnes âgées. Le pape a voulu cette journée à la veille de la fête de sainte Anne. Jusqu’au soir de sa vie, Anne a fait confiance et porté du fruit. Comme Félix Leclerc et les aînés, elle peut dire «Ce n’est pas parce que je suis un vieux pommier que je donne de vieilles pommes».

Le message de François à l’occasion de cette journée est bref, simple et touchant (vatican.va). Il est bref: à peine quatre pages. Simple: avec des mots du quotidien. Touchant: c’est une personne âgée qui s’adresse à ses semblables. Sans manquer de respect, le pape se permet de tutoyer en s’identifiant: «en tant que personne âgée comme toi».

Les prochains mois de «retour à la normale» seront difficiles: ne sous-estimons pas la hauteur des marches à franchir. François présente trois piliers soutenus par les aînés pour soutenir la vie après Covid: les rêves pour sortir renouvelés d’une épreuve, la mémoire des expériences passées comme fondation de la maison commune, et la prière qui soutient autant que l’activisme.

Chaque génération a eu son lot de défis pendant la pandémie; celle des aînés a été particulièrement éprouvée. La plupart de ces personnes ont dû faire face à l’isolement et à la peur de contracter la maladie. Certains ont appris la mort de leurs proches. Beaucoup ont été privés de rencontres sociales et familiales. Le confinement a été un condensé des réalités du vieillissement.

La pandémie a montré notre attitude paradoxale sur la place accordée aux personnes âgées dans nos vies mouvementées. Le virus menaçait davantage ces personnes. Ainsi, pour empêcher le virus de les contaminer, nous avons établi et respecté des consignes. Pour les empêcher de mourir, on a sacrifié la sacro-sainte économie. Pour les garder avec nous, on était prêt à tout!

Pourtant, en temps normal, on s’en soucie beaucoup moins. Les statistiques montrent que les sommes investies pour les soins des personnes âgées ne sont pas jugées prioritaires par la majorité. Nous n’avons pas besoin d’études pour démontrer cela. Regardons notre manière de vivre: peu de temps accordé pour visiter les aînés et peu d’argent individuel dépensé pour leur confort.

Je ne lance la pierre à personne en particulier. Plutôt à tous. Certains donnent un témoignage exemplaire de dévouement à l’égard des aînés. Or, collectivement, nous faisons des choix qui isolent et mettent à l’écart les personnes âgées. À cause de nos horaires et de notre style de vie, nous n’avons pas le temps de nous occuper des nôtres; nous les confions à d’autres.

Plusieurs aînés vivent dans des conditions de vie difficiles: souvent seuls, dans des petites chambres, à regarder la télévision. Ils mangent ce qu’on leur donne et évitent de demander autre chose. Leurs loisirs consistent à participer à ceux des autres. Même l’apport spirituel, si important à cet âge, est inadéquat. Ils attendent une visite, lorsque ce n’est pas tout simplement la mort. Dans de telles conditions, il est normal de vouloir repousser le plus loin possible le moment de quitter sa maison.

Pendant la pandémie, on a tout fait pour ne pas voir mourir nos aînés; maintenant, il faudrait tout faire pour les voir s’épanouir. Des efforts sont à déployer pour imaginer les dernières années de la vie. Des initiatives méritent d’être soulignées: des maisons intergénérationnelles, des résidences avec des projets novateurs, des voisinages qui s’entraident avec le souci des plus vulnérables, etc.

Nous pouvons aussi changer les habitudes de vie. Pour la plupart des aînés, c’est l’oisiveté, alors que plusieurs pourraient avoir une tâche à la mesure de leurs compétences et de leurs forces. Toute la société deviendrait alors bénéficiaire. Pour y arriver, chacun a besoin de revoir ses propres habitudes de vie pour former une communauté de vie avec tous les âges.

Avancer dans la vie, c’est consentir à des pertes. Celles liées au départ d’êtres chers. Celles du corps aussi: moins d’équilibre physique, moins de souplesse, moins d’appétit, moins de mémoire vive. En revanche, il y a plus d’équilibre de vie, plus de sagesse, plus de connaissances sur ce qui importe vraiment. Le verre est aussi à moitié plein!

Dans sa vieillesse, l’abbé Pierre disait éprouver le sentiment que «la lampe baisse». Mais elle continue d’éclairer et elle peut nous être profitable. Hélas: la valeur des aînés ne se compte plus à partir de ce qu’ils rapportent à la société, mais à ce qu’ils coûtent. Ainsi, on dira qu’il en coûte plus de 3500$ pour chambre et pension dans un foyer de soins agréé. Chez les autochtones, les vieillards représentent la sagesse. On fait appel à eux pour apprendre, pour régler des différends, pour garder l’espérance. La sensibilité actuelle à l’égard des Premières Nations est un prétexte de plus pour mettre en valeur le rôle inestimable des personnes âgées.

Il y a deux mille ans, ceux qui commençaient dans la vie avaient peu de valeur. Le Nazaréen avait même pris l’un d’entre eux et l’avait placé au milieu de tous en les invitant à devenir comme un petit enfant. S’il revenait, c’est peut-être les personnes âgées que le Christ placerait au milieu des disciples. Il pourrait même aller jusqu’à dire: si vous ne changez pas pour accueillir ces personnes en mon nom, vous n’entrerez pas dans le Royaume.

Voilà un grand défi. Pour accompagner une étape précieuse de la vie. Le soleil couchant n’a-t-il pas autant de beauté que le soleil levant? ■

SPIRITUALITÉ

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2021-07-24T07:00:00.0000000Z

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