Édition numérique - Acadie Nouvelle

FAITES LE BIEN

SERGE COMEAU SERGECOMEAU1@ICLOUD.COM

C’est ingrat d’arriver au monde un 25 décembre. Parlez-en à ceux qui ont leur fête le jour de Noël: l’anniversaire de l’autre Enfant prend souvent le dessus. Ils peuvent se faire dire que leur cadeau de Noël est un peu plus gros que celui des autres… parce qu’il est aussi leur cadeau d’anniversaire!

C’est aussi ingrat de quitter ce monde au temps de Noël. Le départ est souvent éclipsé par les nombreuses célébrations et les rassemblements de famille. Desmond Tutu est mort le 26 décembre dernier. Les chaînes d’information continue en ont parlé; mais devant un auditoire réduit. Et lorsque la presse écrite a repris, la nouvelle semblait déjà périmée.

J’ai appris son départ en découvrant une de ces citations: «L’espoir, c’est d’être capable de voir la lumière malgré l’obscurité» disait-il. Ça m’a semblé être une traduction pour les temps modernes d’un extrait du prologue de saint Jean proclamé le jour de Noël: «La lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas arrêté.»

Desmond Tutu est monté au ciel alors que Dieu est descendu sur terre; le Fils de Dieu est couché dans l’étable «sur le plancher des vaches». C’est à cette hauteur qu’Il est solidaire avec l’humanité. Il est encore à cette hauteur aujourd’hui. À celle imposée par la force à George Floyd par un policier. À la hauteur aussi des matelas posés à même le sol dans les camps où s’entassent des milliers de réfugiés. Et même au-dessous du niveau de la mer où gisent les cadavres des migrants voguant vers une terre d’asile.

Dieu a aussi été à la hauteur des Noirs Sud-Africains, brimés dans leur dignité par l’apartheid, cette politique de séparation stricte entre les Noirs et les Blancs, imposée par les Blancs de 1948 à 1991. L’engagement de Tutu pour mettre un terme à cette politique montre avec éloquence sa solidarité avec cette part souffrante du Corps du Christ. Soutenant qu’une «Église servante est aussi une Église souffrante».

Né dans une région où l’apartheid a ses aises, il rêve de devenir médecin. Il deviendra enseignant. Déçu de l’éducation donnée aux Noirs, il entre au séminaire anglican. Sa foi sera le tremplin de son engagement pour la transformation de son pays. Il trouvera dans les Évangiles un fondement sûr et solide pour sa quête d’un ordre moral juste. Sa pastorale harmonisera une profonde spiritualité et un combat pour la justice.

Pendant ses années de ministère, il dénonce la politique d’apartheid, toujours sans appel à la violence. Malgré tout, son activisme lui attire des ennuis: on lui retire son passeport, on cherche à mettre en sourdine son appel au boycott, il perd ses tribunes.

En 1978, il est élu secrétaire général du Conseil sud-Africain des Églises. Fort du soutien de plus de 12 millions de fidèles, il poursuit sa lutte jusqu’à l’obtention du Nobel de la Paix, en 1984, qui lui donne un nouvel élan. Orateur charismatique, il soulève les foules. Autant dans les églises que dans les stades. En 1986, il est nommé archevêque du Cap et primat de sa province anglicane.

Lorsque Nelson Mandela sort de prison, Tutu est le premier qu’il serre dans ses bras: «Avec ses paroles et son courage, Tutu a redonné confiance à toute une nation, il a éveillé l’espoir pendant la période la plus sombre», dira-t-il. Le pasteur est le visage du combat ecclésial contre l’apartheid; Mandela deviendra la face visible du combat politique. Après la chute de l’apartheid, Tutu sera le guérisseur de la nation en appelant à la réconciliation: «Sans pardon, il n’y a pas de futur.»

Par la suite, il mettra son énergie et sa fougue pour défendre d’autres causes, celles de l’abolition du commerce des armes, de la diversité sexuelle, de la lutte contre les changements climatiques... Jusqu’au bout, il aura été fidèle à ses convictions, conciliant lutte et contemplation.

On a dit de ce père spirituel de la nation qu’il incarnait la conscience de l’Afrique du Sud. Lorsqu’on saisit que la grandeur d’une société passe aussi par sa morale et la solidarité qui unit ses membres, nous pouvons imaginer la peine de la nation arc-en-ciel de voir partir Tutu.

À côté des gestes d’éclats des grands leaders moraux, il y a les gestes humbles du quotidien. Notre discours et nos bonnes intentions ne valent rien si nous refusons de sortir de nos zones de confort pour faire le bien. «Faites le bien, par petits bouts, là où vous êtes; Car ce sont tous ces petits bouts de bien, une fois assemblés, qui transforment le monde.» Pour paraphraser une âme aussi sensible que celle de Karim Ouellet qui partageait les mêmes origines: faisons l’amour et non la guerre!

C’est la semaine de prière pour l’unité des chrétiens jusqu’à mardi. Au firmament de nos églises, il y «des justes qui resplendissent comme les étoiles» (Dn 12, 3). Samedi dernier, c’est un pasteur protestant, Martin Luther King, qui a inspiré mon billet hebdomadaire. Aujourd’hui, c’est un pasteur anglican. L’admiration que nous inspire leurs combats me semble être un gage de proximité avec nos frères et soeurs des Églises chrétiennes. Ce qui nous unit est tellement plus grand que ce qui nous sépare.

SPIRITUALITÉ

fr-ca

2022-01-22T08:00:00.0000000Z

2022-01-22T08:00:00.0000000Z

https://numerique.acadienouvelle.com/article/281663963386255

Acadie Media