Édition numérique - Acadie Nouvelle

UN GOUVERNEMENT SEXISTE

FRANÇOIS GRAVEL francois.gravel@acadienouvelle.com

L’avortement n’est plus un droit aux ÉtatsUnis. La Cour suprême, qui a été paquetée de juges ultraconservateurs par l’ex-président Donald Trump, a décrété que les États sont libres de limiter à leur guise l’accès ou même d’interdire cette procédure. Cette nouvelle a eu l’effet d’une bombe au Canada aussi, où l’on craint l’influence des politiques américaines sur les nôtres. Avec raison.

Les États-Unis et le Canada sont deux pays bien différents. Les chances que notre Cour suprême rende un jour une décision semblable à celle qui vient d’ébranler des millions de femmes américaines sont faibles. Ne faisons cependant pas l’erreur de tourner la tête et de croire que nous sommes pour toujours à l’abri d’un tel scénario.

Un rappel d’abord que le célèbre jugement Roe v. Wade, qui protégeait le droit à l’avortement aux États-Unis, date de 1973. Cela signifie que les militants antichoix se sont battus pendant presque un demi-siècle avant de finalement venir à bout de ce que tant de gens croyaient être un droit inaliénable.

Un vieux dicton dit que six mois représente une éternité en politique. Alors, imaginez 10 ans, 20 ans ou 50 ans. L’équilibre des forces a le temps de changer d’ici là, autant au NouveauBrunswick, au gouvernement fédéral que dans notre système de justice.

Il est vrai que la Cour suprême du Canada n’est pas politisée comme celle des États-Unis. Les juges n’y sont pas nommés à vie et ont historiquement démontré une indépendance des gouvernements qui les ont nommés. Le premier ministre Stephen Harper a néanmoins tenté de briser le moule en nommant un juge dont il était proche idéologiquement, Marc Nadon, à la Cour suprême en 2013. Il s’agissait d’un choix médiocre et inconstitutionnel (la nomination a été invalidée).

De plus, les attaques du candidat à la direction du Parti conservateur, Pierre Poilievre, contre la Banque du Canada, montrent qu’aucune institution n’est à l’abri d’assauts qui pourraient remettre en cause son indépendance ou sa crédibilité. Peut-on vraiment être certain que M. Poilievre ou l’une de ses émules ne tentera pas un jour le même coup avec la Cour suprême?

Autre point important: il ne faut pas sousestimer l’influence des États-Unis sur la droite canadienne. Un jugement sur l’avortement ou les armes à feu en France ou en Finlande n’a aucun impact sur la politique canadienne. C’est par contre toute autre chose quand ça se passe chez notre puissant voisin du sud. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les Américains antichoix ne se sont pas contentés de se battre devant les tribunaux. Ils ont multiplié les barrières à l’accès. Une stratégie qui a fait des petits dans notre coin de pays. Le gouvernement du Nouveau-Brunswick est historiquement l’un des plus sexistes au Canada. Le premier ministre actuel, Blaine Higgs, est ouvertement contre l’avortement pour des raisons morales et religieuses. Le règlement 84-20 précise que l’assurancemaladie ne couvre pas les interruptions de grossesse qui sont effectuées à l’extérieur des hôpitaux. Cette directive est unique au Nouveau-Brunswick. Aucune autre procédure médicale n’est sous le coup d’une telle exception. Elle existe depuis bien avant l’arrivée du gouvernement Higgs et a pour unique but de limiter le nombre de femmes qui peuvent obtenir un avortement.

Tout comme l’honnie «règle des deux médecins» qui a été imposée par le premier ministre Frank McKenna et abrogée par Brian Gallant, le règlement 84-20 est une mesure sexiste maintenue par un gouvernement sexiste et qui vise spécifiquement les femmes.

S’il était possible pour un homme de subir une interruption de grossesse, il y aurait aujourd’hui des cliniques privées qui offriraient le service dans toutes les régions du Nouveau-Brunswick et dont les coûts seraient remboursés par le programme d’assurance-maladie.

Il y aura toujours des politiciens déterminés à enlever des droits aux femmes. Pierre Poilievre a pris plusieurs jours avant de réagir à la fin du droit à l’avortement aux États-Unis. Il s’est contenté de promettre, dans l’éventualité où il deviendrait premier ministre, de ne pas introduire de lois visant à restreindre l’accès à l’avortement. Il s’est toutefois bien gardé de dire s’il empêcherait ses députés d’arrière-ban de le faire ou s’il interviendrait pour empêcher des gouvernements provinciaux de ne plus offrir ces soins.

Il n’y aura peut-être pas de grands jugements dramatiques au Canada. Mais ça ne signifie malheureusement pas que des politiciens cesseront de se mêler de ce qui se passe dans l’utérus des Néo-Brunswickoises et des Canadiennes.

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2022-06-28T07:00:00.0000000Z

2022-06-28T07:00:00.0000000Z

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