Édition numérique - Acadie Nouvelle

Projet de loi 37: un recul linguistique important

MICHEL DOUCET Professeur émérite SERGE ROUSSELLE Doyen et professeur titulaire Faculté de droit, Université de Moncton

Depuis le Rapport de la révision de la Loi sur les langues officielles des commissaires Yvette Finn et John McLaughlin rendu public en décembre 2021, le gouvernement Higgs a pris 16 mois pour finalement pondre cette semaine un projet de loi qui constitue ni plus ni moins qu’un important recul linguistique.

Ce recul, qui s’exprime par une volonté d’abolir la révision obligatoire aux 10 ans de la Loi sur les langues officielles, va à l’encontre du principe voulant favoriser la progression vers l’égalité linguistique réelle reconnue dans la Charte canadienne des droits et libertés.

De plus, tout aussi décevant et inacceptable est le motif invoqué pour justifier cette abolition par le premier ministre Higgs et par ses trois ministres francophones.

Il y a une vingtaine d’années, lorsque le gouvernement de Bernard Lord a été obligé par la Cour d’appel de modifier la Loi sur les langues officielles afin de la rendre conforme aux exigences de la Charte canadienne des droits et libertés, il a eu la brillante idée de prévoir une révision obligatoire aux dix ans de cette loi, en reconnaissant de ce fait son importance fondamentale dans le tissu social de notre province.

Ce faisant, il s’assurait que le contrat social néobrunswickois que représente cette loi de 2002 serait régulièrement analysé et mis à jour dans son ensemble sur la longue route menant à l’égalité linguistique réelle dans notre province.

Ainsi, loin de vouloir procéder en vase clos, il créait les conditions permettant que ce contrat social fasse l’objet de vastes consultations de la société civile et d’experts afin d’évaluer périodiquement l’état de la situation linguistique dans la province et de proposer régulièrement des modifications majeures favorisant toujours un peu plus cette fameuse égalité linguistique réelle tant recherchée.

À cet égard, force est de constater que le recul linguistique proposé est d’autant plus important quand on s’attarde à la solution de rechange qui est mise de l’avant dans le projet de loi du gouvernement Higgs. En effet, le seul autre élément qui ressort de ce projet de loi est la création d’un Secrétariat aux langues officielles faisant partie de l’appareil gouvernemental et qui aurait, entre autres, pour fonction d’évaluer en continu la loi et d’en recommander des modifications.

Il n’y aurait donc plus aucune obligation d’une révision de la loi dans son ensemble, plus aucune assurance d’un débat périodique visant à améliorer cette loi et on assisterait à un contrôle complet de ces éléments par le gouvernement en place, ce qui n’a rien de rassurant et qui n’augure rien de bon sur la route vers l’égalité linguistique réelle.

Cela dit, si ce recul linguistique à lui seul constitue une aberration, le motif invoqué pour justifier cette abolition de la révision de la Loi sur les langues officielles aux dix ans est tout simplement ahurissant. Selon le premier ministre Higgs, cette abolition n’est pas problématique puisque lorsqu’il y aura «un problème», le nouveau secrétariat sous le contrôle du gouvernement pourra désormais voir aux modifications à la loi en continu. Dans cet esprit, ses trois ministres francophones se sont présentés ensemble devant les médias pour l’appuyer et, par la voix du ministre Daniel Allain, ont précisé que dorénavant le gouvernement aura «la possibilité» de modifier la loi n’importe quand et pas seulement aux dix ans.

Un tel raisonnement est pour le moins problématique tant d’un point de vue juridique que factuel. En effet, non seulement la loi actuelle n’empêche aucunement le gouvernement de proposer des modifications au besoin en tout temps, mais l’histoire récente nous enseigne qu’une révision aux dix ans n’empêche nullement un gouvernement de modifier de façon ponctuelle cette loi.

Ainsi, au-delà du juridique, les faits prouvent le contraire de ce qu’affirment ces membres du gouvernement Higgs. Lors de la première révision majeure de la loi de 2002 réalisée en 2013 à l’époque du gouvernement de David Alward, il y avait une faille importante en ce que les modifications apportées obligeaient uniquement la quarantaine d’associations professionnelles à fournir à leurs membres «les services réglementaires» dans les deux langues officielles.

Ainsi, aucun de ces services n’étaient prévus dans la loi et les quelque 40 associations professionnelles de la province n’avaient aucune obligation envers le public d’un point de vue linguistique et une poursuite avait été entreprise par une demanderesse psychologue.

Devant pareille situation et à la suite d’un règlement hors-cour entre la demanderesse et le nouveau gouvernement Gallant, celui-ci a fait modifier la loi en 2015 afin de prévoir que désormais les associations professionnelles sont tenues d’offrir les communications et les services à leurs membres et au public dans les deux langues officielles.

Bref, depuis 2002, il y a eu une modification majeure aux dix ans de la Loi sur les langues officielles en 2013 et une modification ponctuelle qui s’est faite à l’extérieur de la révision obligatoire de cette loi, soit en 2015, ce qui démontre clairement que l’explication fournie par le gouvernement pour justifier l’abolition de cette révision aux dix ans ne tient pas la route.

Ainsi, pour utiliser l’analogie du ministre Allain, la voiture linguistique peut-être apportée au garage lorsqu’il y a un problème ponctuel avec celleci, ce qui n’empêche pas que cette voiture puisse devoir se soumettre à une vérification générale régulière afin de pouvoir circuler sur notre route vers l’égalité réelle.

Cependant, en l’espèce, loin de pouvoir se diriger vers un garage pour sa vérification générale régulière afin de poursuivre sa route vers l’égalité linguistique réelle, la voiture en question semble vouloir prendre le champ en direction d’une ligne rouge imaginaire qui a disparu beaucoup plus vite qu’il n’en fallait pour pondre un projet de loi d’un peu plus de deux pages en 16 mois. ■

FORUM PUBLIC

fr-ca

2023-04-01T07:00:00.0000000Z

2023-04-01T07:00:00.0000000Z

https://numerique.acadienouvelle.com/article/281844352899375

Acadie Media