Le système de santé est une «passoire» à infirmières, selon une chercheuse
Une chercheuse de l’Université de Moncton, Marie-Ève Laforest, a comparé le système de santé à une passoire à infirmières, pendant une conférence à l’Université de Moncton. Elle a présenté des moyens de les retenir, grâce à une étude à laquelle elle parti
Cédric Thévenin cedric.thevenin@acadienouvelle.com
«Le système de santé est comme une passoire à travers laquelle on perd notre personnel, a dénoncé la professeure à l’École de science infirmière de l’Université de Moncton (U de M), Marie-Ève Laforest. On ne retient pas nos infirmières.»
Elle a rappelé que le réseau de santé Vitalité compte encore une centaine de postes vacants, pendant une conférence organisée par L’École des Hautes Études Publiques, le 14 septembre.
Le nombre était de 745 en juin, toutes professions confondues (soit 9% de tous les postes de l’organisme), selon un bulletin de performance trimestriel de Vitalité. Et ce, même si les embauches de la régie sont plus nombreuses que ses départs depuis mai – juin 2022.
STRATÉGIE DE GUERRE MONDIALE
Le recteur de l’U de M, Denis Prud’homme, est intervenu pour évoquer son expérience en tant que doyen de la Faculté des sciences de la santé de l’Université d’Ottawa de 2002 à 2012.
«Il y avait déjà une vague de pénurie d’infirmières à cause de défis financiers et d’une diminution du nombre de postes permanents, a raconté le docteur. Le gouvernement nous a donc demandé de doubler le nombre d’infirmières formées.»
Il a expliqué que les formations ont changé, et ce, afin de diluer l’héritage religieux de la profession infirmière, qui a mis en valeur le don de soi et imposé un enseignement rigide.
«Nous avons doublé le nombre d’infirmières formées en trois ou quatre ans, a indiqué M. Prud’homme. Mais 10 ans plus tard, le gouvernement nous a demandé d’en former encore plus. Je lui ai demandé ce qu’il faisait avec elles. Ça coûte cher de former des infirmières!»
Il se souvient que 30% des infirmières quittaient l’hôpital pendant leur première année après l’obtention de leur diplôme, notamment à cause de l’exposition trop précoce à des situations complexes.
Il a l’impression que ce phénomène se reproduit au Nouveau-Brunswick.
«On nous demande de former davantage d’infirmières. C’est une approche digne de la Seconde Guerre mondiale», a illustré M. Prud’homme.
«TOUT LE MONDE EST À FLEUR DE PEAU»
Mme Laforest a décrit, grâce à aux résultats préliminaires d’une étude, un réseau Vitalité plein de jeunes infirmières incapables de s’entraider, travaillant en état d’angoisse et d’épuisement. Les employées expérimentées, qui sont nombreuses à avoir quitté leur emploi, manquent pour les soutenir, selon elle.
«Une infirmière a dit que tout le monde est à fleur de peau, la tête basse, a-t-elle indiqué. Une docteure a raconté qu’elle avait fait des ordonnances, mais qu’elle n’avait pas suffisamment de personnel formé pour les mettre en oeuvre.»
La chercheuse a précisé que les infirmières doivent parfois travailler aux urgences dès la sortie de leurs études, alors que seules les professionnelles ayant plus de deux ans d’expérience y obtenaient une affectation auparavant. «Elles ont peur de faire des erreurs, a-telle déclaré. Or, à cause de la régionalisation [la réduction du nombre de régies de santé de huit à deux en 2008, NDLR], elles ne trouvent aucune personne-ressource dans leur unité ou dans leur hôpital.»
Mme Laforest a trouvé que le climat de sécurité psychologique est un facteur de rétention du personnel. Elle a aussi mentionné l’importance de la qualité de la gestion et du soutien de la hiérarchie.
«Les infirmières sentent qu’elles ont le soutien de leur supérieur immédiat, qui a cependant les mains liées et ne peut pas répondre à leurs demandes. Parfois, la personne à laquelle se référer n’est pas sur leur plancher, dans leur hôpital ou dans leur zone de santé. Alors elles ont des difficultés à recevoir l’aide de la haute administration.»
MANQUE D’AUTONOMIE
La chercheuse a également constaté que le sentiment de contrôle – que ce soit sur les soins qu’elles prodiguent, sur le choix de leur affectation et sur leur horaire – compte beaucoup pour les infirmières.
Elle a notamment évoqué les difficultés pour les jeunes infirmières à prendre des congés en temps voulu.
«Le Syndicat des infirmières et infirmiers du Nouveau-Brunswick a obtenu une augmentation du nombre de jours de congé pour les infirmières qui sont dans le milieu depuis longtemps. Toutefois, ce sont aussi elles qui demandent leurs congés en premier à l’hôpital. Ça ne laisse pas beaucoup de place pour les jeunes», a fait remarquer Mme Laforest.
La professeur a aussi pointé la grande charge de travail des infirmières dont les équipes sont incomplètes et dont les patients présentent des cas de plus en plus complexes et de plus en plus sévères. Dans ce contexte, elle constate que les infirmières peuvent difficilement se former et innover.
«La majorité des infirmières qui ont démissionné ne l’ont pas fait pour des raisons de salaire», a conclu Mme Laforest.
Son étude se fonde sur 57 entrevues avec des médecins et des infirmières qui ont démissionné ou gardé leur emploi à Vitalité, ainsi que sur un sondage réalisé auprès de 700 employés du réseau de santé. Elle n’est pas encore terminée. ■
«On perd des soldats au combat. On en envoie donc juste davantage. Ce n’est peut-être pas la meilleure stratégie…»
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