DÉFORESTATION DE LA PÉNINSULE: LES POINTS SUR LES i
ALAIN DENEAULT
À propos du récent reportage de RadioCanada Acadie sur l’état de la déforestation dans la Péninsule acadienne, quelques points:
Capitalisme ou biorégions? C’est être passéiste, et même colonial, que de concevoir un territoire comme devant être exploité brutalement au profit de quelques grands propriétaires fonciers et des multinationales. Raser une forêt de Tracadie pour exploiter le bleuet avec force pesticides est d’un autre âge et fait honte. On sait que la communauté a proposé une approche récréotouristique qui maintiendrait sauf le lieu, le valoriserait même, tout en générant sur un plan comptable des actifs d’envergure que se partageraient les gens ici, plutôt que de les voir potentiellement partir aux Bermudes dans les comptes d’une multinationale.
La forêt n’est pas une ressource naturelle. La forêt ne sert pas seulement à être exploitée à des fins marchandes. Elle a une fonction inestimable sur un territoire. Elle abrite 80% de la faune terrestre. Cette biodiversité est capitale pour la santé publique. Par exemple, ce que le biologiste français Serge Morand explique: lorsque la chauve-souris, en voie d’extinction dans la péninsule, se sent menacée, elle devient soudainement sensible aux nombreux éléments pathogènes qui la parasitent. Son système immunitaire d’ordinaire robuste cède. On retrouve des traces de ses maladies dans ses déjections et sa salive. Par espèces interposées, ces maux se trouvent transmis aux humains, témoin le nombre impressionnant de zoonoses qui apparaissent depuis cinquante ans: zika, H1N1, ebola, coronavirus… L’ONU s’en préoccupe. La forêt est aussi intimement liée à la qualité de l’eau et à la stabilisation de leurs cours. Elle protège nos villes contre les risques d’ouragans ou d’inondations.
Climat: la Péninsule acadienne fait partie de la planète! Même s’il semble l’avoir oublié, le gouvernement du Canada a signé l’Accord de Paris visant à plafonner le réchauffement climatique mondial moyen de 1,5°C depuis le début de l’ère industrielle. Il est tenu de respecter cet objectif. Cela nous enjoint donc de maintenir telles quelles des zones forestières qu’on ne sait jamais restaurer dans leur complexité, puisqu’elles constituent de formidables puits de carbone et ralentissent le réchauffement climatique. Il est consternant de voir l’humanité faire disparaître de la surface de terre l’équivalent d’une Autriche en forêt chaque année. La Péninsule acadienne fait partie de ce monde et doit elle aussi en tenir compte.
L’ex-ministre libéral lobbyiste en chef. Comment ne pas éprouver un profond malaise en voyant encore une fois au Canada un ministre de premier plan devenir ensuite lobbyiste? Et comment ne pas entretenir quelques soupçons sur l’éthique du lobbyiste de l’industrie bleuetière au Nouveau-Brunswick? Donald Arseneault a été député libéral (20032017), notamment vice-premier ministre (2006-2010) et ministre des Ressources naturelles (2006-2008). À ces titres, il a pu disposer d’informations qui, nonobstant leur caractère confidentiel, demeurent un bien public. Elles participent de la raison d’État. Ces connaissances ne doivent donc pas quitter les institutions publiques, quoique réservées aux gens qui occupent des fonctions précises. Une question s’impose: l’ex-ministre devenu lobbyiste se trouve-t-il à vendre à son profit personnel des données privilégiées à la multinationale qui l’emploie, elles qui devraient pourtant rester confinées aux seules institutions publiques?
Qu’est-ce qu’être «libéral»? Que de contradictions! Les élus libéraux ont poussé des cris d’orfraie devant les images de Radio-Canada, quelques temps après avoir jubilé en inaugurant les nouvelles infrastructures d’Oxford Frozen Fruit dans la Péninsule… Ils ne voyaient rien d’étrange au fait de s’opposer à celui qui était encore récemment leur influent collègue. D’actuels libéraux se découvrent aux antipodes d’anciens libéraux. Leur doctrine en matière d’exploitation du territoire aurait donc changé du tout au tout? Ou se contente-ton de satisfaire des clientèles électorales selon le moment? Ces mêmes libéraux, dans l’opposition depuis 2018, n’ont rien proposé de mieux qu’un moratoire sur le projet de bleuetière industrielle détruisant le champ de tir de Tracadie. Un moratoire… comme s’ils n’avaient pas encore eu le temps d’y penser, et de se dire contre, tout simplement. Un moratoire, pour donner l’impression qu’on est contre avant les élections, et redevenir pour cette exploitation éhontée une fois celles-ci passées?
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